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Remerciements tout particuliers à la galerie Jeanne Bucher, spécialement à monsieur Jean-François Jaeger, pour leur précieuse collaboration.
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1. Le Lavandou, 1952.
195 x 97 cm. Musée national d’art moderne,
Centre Georges-Pompidou, Paris.
INTRODUCTION
Ce que j’essaie, c’est un renouvellement continu, vraiment continu, et ce n’est pas facile. Ma peinture, je sais ce qu’elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de force, c’est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime. C’est fragile comme l’amour.
Nicolas de Staël, lettre à Jacques Dubourg, Antibes, décembre 1954.
Au regard des récits de ceux qui l’ont connu, Nicolas de Staël était un personnage imposant. Grand, beau, et quelque peu longiligne, les photographies prises de lui dans son atelier au début des années 1950 évoquent les statues de bronze de Giacometti, fines, sèches, éloquentes de fierté et de dignité. Cosmopolite dans ses attitudes et sa conversation, il avait beaucoup voyagé. Appréciant la compagnie des autres artistes, des musiciens et des écrivains, il avait une vision très claire du fonctionnement du marché de l’art et de sa presse.
Par ailleurs, il était absolument intransigeant quant à son développement en tant qu’artiste, ne tenant pas compte de l’effet que ses changements de style pouvaient avoir sur l’appréciation des critiques ou sa propre situation matérielle.
Pendant les cinq années dernières années de sa vie, il était reconnu comme un membre éminent, si ce n’est le plus important, de l’École de Paris. Ce succès critique lui apporta une prospérité financière certaine, grâce aux prix que les plus grands musées et collectionneurs d’Europe et d’Amérique étaient prêts à payer pour son travail. Est-ce alors l’impact des expressionnistes abstraits américains, suivis, dans les années 1960, par les néodadaïstes du Pop Art qui poussa de Staël à mettre fin à ses jours au moment même où sa réputation amorçait une courbe résolument ascendante ? Est-ce parce qu’il sentait qu’il avait effleuré du doigt l’indicible et qu’il ne pourrait faire mieux ? Toujours est-il que ce suicide reste aujourd’hui encore incompréhensible et inexpliqué.
2. L’Orage, 1945.
Huile sur toile, 130 x 90 cm.
Collection privée.
3. Portrait de Jeannine, 1941-1942.
Huile sur toile, 81 x 60 cm.
Collection privée.
Face aux assauts ultérieurs du conceptualisme, l’attachement de de Staël aux vertus de la peinture et sa préférence pour des types de sujets traditionnels entraînèrent effectivement la désaffection des critiques. Pour autant, la technique intuitive de de Staël et sa foi en l’expression d’idées émouvantes, voire spirituelles, s’appuyant sur des qualités principalement formelles font qu’il demeure aujourd’hui encore le peintre de l’espace et de l’aspiration, celui auxquels tant d’artistes se réfèrent, le prince de la fugacité et de l’insaisissable.
Nicolas de Staël naquit à Saint-Pétersbourg en 1914 au sein d'une famille d’origine balte appartenant à la noblesse russe. Enfant, de Staël et sa famille furent contraints de quitter la Russie suite à la révolution bolchévique de 1917.
4. Composition sur fondgris, 1944.
Huile sur toile, 89 x 115 cm.
Musée d’art moderne Lille Métropole,
Villeneuve-d’Ascq, donation
Geneviève et Jean Masurel.
Ils s'installèrent d'abord en Pologne où ses parents moururent peu de temps après. Orphelins à l’âge de huit ans, Nicolas de Staël et ses deux sœurs furent élevés par des amis de la famille à Bruxelles. C’est là qu’il étudia les beaux-arts à l’Académie Royale des Beaux-Arts, dont il sortit, diplômé, en 1935. Bien qu’il soit né en Russie, son travail semble clairement appartenir à la tradition d’une avant-garde spécifiquement européenne qui remonte aux pionniers de l’abstraction, du cubisme, du fauvisme jusqu’au post-impressionisme. De Staël lui-même, par exemple, parlait de son amour pour les lettres de Van Gogh (comme lui un homme du nord qui finit foudroyé par la lumière méditerranéenne du sud de la France ) ; il éprouva une profonde admiration pour Matisse, et vécut une amitié durable avec Braque.
5. Composition Nice, 1943.
Huile sur toile, 114 x 72 cm.
Musée d’art moderne et d’art contemporain,
Nice, don de Jacques et Madeleine Matarasso.
6. Composition en noir, 1946.
Huile sur toile, 200 x 150,5 cm.
Kunsthaus Zürich, Zurich.
À la fin des années 1930, de Staël vécut en France et obtint la nationalité française en 1948. En avril 1952, de Staël se rendit au Parc des Princes de Paris entièrement illuminé à l’occasion d’un match de football opposant la France à la Suède. Le spectacle allait transformer sa peinture ; il avait trente-huit ans. Il décrivit cela dans une lettre à son ami, le poète René Char :
Entre ciel de terre sur l’herbe rouge ou bleue une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance […] Alors j’ai mis en chantier toute l’équipe de France, de Suède et cela commence à se mouvoir un tant soit peu […]
C’est son paradoxe qui rend cette description remarquable : il souligne avec emphase la « présence » de ses protagonistes et fait remarquer simultanément leur « complet oubli de soi ». L’expérience allait jouer le rôle d’une épiphanie ou d’un catalyseur, l’incitant à délaisser le style purement abstrait qu’il avait adopté en 1942, pour une expression plus figurative ; un style dans lequel, le sujet identifiable réaffirmait sa propre présence tandis que les distorsions et les simplifications des couleurs et des textures caractéristiques de ses surfaces peintes suggéraient des sentiments ou des réactions allant au-delà des simples apparences du sujet lui-même. Ce dernier, comme les footballeurs en cette nuit de 1952, était menacé d’oubli de soi dans cette nouvelle réalité peinte que de Staël s’acharnait à créer.